J’veux du soleil sur notre France

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J’ai pris une sacrée claque samedi soir à Paris, au cinéma Luminor Hôtel de Ville, en regardant « J’veux du soleil », le film de François Ruffin et Gilles Perret dédié aux Gilets jaunes. « Empreint d’humanité, de fraternité, de colère, d’humour et d’espoir », j’écrivais hier-matin sur Twitter. Aujourd’hui, je vais tacher d’aller un peu plus loin que ces cinq mots :

C’est la France des gilets jaunes, la France des ronds-points.
La France des pue la sueur, des lève tôt, des rentre tard.
La France des chômeurs, des précaires, des boulots en intérim.
La France de celles et ceux qui se prennent en pleine face c’est ça ou rien.
La France de celles et ceux qui ferment leur bouche sinon c’est la porte et y’en a trente qui attendent pour te remplacer.
La France des ratiboisés par les factures une fois payées il reste plus rien pour manger.
La France des smicards.
La France du RSA.
La France des retraites minuscules.
La France des fins de mois qui commencent le cinq du mois.
La France qui a honte d’aller aux Restos du cœur et au Secours Populaire.
La France des glaneurs.
La France des sans dents qui n’a pas de complémentaire santé.
La France des hôpitaux engorgés, des cliniques qui ferment, des maternités qui ferment.
La France des petites gares fermées, des bourgs aux commerces fermés et des villages aux bureaux de Poste fermés.
La France des entrées de villes défigurées par la publicité et les centres commerciaux.
La France des longs trajets en voiture quotidiens qui coûtent cher.
La France qui ne voit pas ses minots grandir.
La France qui n’a pas les sous pour les habiller.
La France qui ne part jamais en vacances.
La France qui n’a jamais vu la mer.
La France des couples qui volent en éclat.

C’est la France qui en a assez de morfler.
La France qui réclame justice.
La France qui exige que les riches paient leur juste part.
La France excédée par les dividendes, par l’évasion fiscale.
La France révoltée par le mépris du président et de ses ministres.
La France qui conchie l’oligarchie et ses chiens de garde.
La France qui vomit les chaînes d’info, télés et radios.
La France qui ne supporte plus les journalistes et les éditocrates aux ordres.

C’est la France qui décide enfin de ne plus la fermer.
La France des accents.
La France qui se regroupe, se sourit, se serre les coudes.
La France qui redécouvre la solidarité.
La France qui se parle à nouveau.
La France qui donne la parole aux femmes comme aux hommes.
La France qui dit Mohammed c’est mon frère.
La France qui dit Aïcha c’est ma sœur.
La France qui boit des canons autour d’un feu de camp.
La France qui construit des cabanes.
La France qui retombe en enfance.
La France qui veut que ça change.
La France qui veut du soleil sur notre France.

 

Mon premier Premier Mai à Paris

premiermai

Premier Premier Mai de ma vie à Paris
pas pu m’empêcher de lancer ma mémoire vers Marseille alors que l’air se chargeait de nuages toxiques là-bas en tête de cortège
en cheminant vers la Place d’Italie
ne savais ne savions rien encore de ces relents puants, fascisants
rien de cette violence sourde en train de blesser le Paris des travailleurs, d’humilier le Paris des luttes et de la fête, de mettre en colère Paris du Front Populaire et de la Libération

Premier Premier Mai de ma vie à Paris
parmi frères et sœurs à l’accent pointu avancer en souriant à la chaleur de mai
en me souvenant que minot c’était sur les épaules de mon père que je défilais entre les Réformés et la Joliette
il y avait des drapeaux rouges des faucilles et des marteaux dessus jaunes d’or
des calicots blancs avec slogans clairs Paix au Vietnam, Liberté pour Angela Davis
je me souviens des banderoles aux lettres rouges sang des cheminots, des postiers, des travailleurs de la réparation navale avec leurs Bleus de Chine
les adultes chantaient l’Internationale
l’ambiance était joyeuse légère
en descendant Canebière des gens applaudissaient ou nous rejoignaient ou se mêlaient au défilé en chantant
ça me plaisait de lever le poing les doigts bien serrés
quelques agents de police nous dévisageaient sous leurs képis blancs
ils transpiraient certains baillaient en regardant leur montre

parvenu sur le Vieux-Port le cortège ralentissait on regardait la mer scintiller et les mats des voiliers se dandiner
Rue de la République je me souviens de l’ombre soudain dans le cou et des slogans qui résonnaient plus fort
je voulais marcher moi aussi me dégourdir les jambes
mon père me faisait descendre maman me prenait par la main
vus d’en bas les drapeaux rouges caressaient le ciel
ça sentait l’iode le poisson mort la mer l’urine et un peu les poubelles aussi
elle me semblait lointaine la place de la Joliette là où le cortège se dispersait
en face des bateaux qui attendaient de reprendre la mer pour Bastia ou Alger
chaque fois j’avais envie d’embarquer moi aussi
et je pensais à mon grand-père corse qui avait passé sa vie à naviguer
à ses Premiers Mai à lui travailleur de la mer parmi les travailleurs sur la terre
et puis il fallait rentrer repartir vers l’autre côté du Vieux-Port retourner au quartier remiser les drapeaux
le visage brûlant de soleil

Premier Premier Mai de ma vie à Paris
ce souvenir d’enfance m’a accompagné hier de Montparnasse jusqu’au carrefour où j’ai rebroussé chemin étouffant soudain dans ce cortège géant bruyant bon enfant ce cortège rempli de colère et de chants et de slogans tonitruants
colère à chaque coin de rue barrée
toutes sans exception
par les hommes bleus géants casqués armés boucliers matraques grenades lacrymogènes LBD
pris dans une nasse géante avons avancé dans l’autre sens alors que circulaient tout à coup sur nos smartphones les images violentes de la répression sauvage en tête de cortège le sang les blessés
les plans affolés sur ce déferlement de coups d’assauts de poursuites de baston de gazages de pavés lancés de cris et de colère mêlés

Premier Premier Mai de ma vie à Paris
ne serai pas allé jusqu’à la Place d’Italie
de retour à l’abri découvrir avec dégoût le mensonge d’État
honteux méprisable haïssable
reconnaître l’odeur affreuse de ces mots dans ma bouche
en détester la râpeuse texture
maudire chacune de leurs consonnes
les recracher avec dégoût
en reconnaître pourtant le poids de colère et de révolte
prendre pitié pour les blessés les cabossés les défigurés les menottés les humiliés
puis repartir les yeux clos vers la lumière joyeuse de mes défilés d’enfance.